Mary Fortune

Autrice (1833-1911)
(Notice rédigée par Lucy Sussex et traduite par Jean-Daniel Brèque, Illustration : Freddie Baer)
Née à Belfast en 1833 (environ), Mary Fortune était l’enfant unique de George Wilson, un mécanicien d’origine écossaise, et d’Eleanor Atkinson. Sa mère étant morte jeune, c’est en compagnie de son seul père qu’elle émigre à Montréal. En 1851, elle y épouse Joseph Fortune, un contremaître, et leur fils Joseph George naît l’année suivante.
Lorsque George Wilson s’embarque pour l’Australie, saisi par la fièvre de l’or, Mary ne tarde pas à l’y suivre avec son enfant, fuyant semble-t-il un mariage voué à l’échec. Elle fait étape en Angleterre, où la rédaction du LADIES’ COMPANION lui commande une série d’articles sur les terrains aurifères. Arrivée à Melbourne fin 1855, elle rejoint Wilson, devenu magasinier, et publie dans des journaux des poèmes engagés qu’elle signe de ses initiales. Cela lui vaut d’être recrutée par le directeur d’un journal local, qui se rétracte ensuite en découvrant qu’elle est une femme. Eastbourne Valley (dit George), son deuxième fils – illégitime celui-ci – naît l’année suivante.
Son fils aîné est décédé en 1858, et elle a épousé Percy Rollo Brett, de la Police montée locale. Joseph Fortune, resté au Canada, étant toujours vivant, elle a donc commis un acte de bigamie, ce qui était courant dans les colonies. Bien que ce mariage ait été bref, s’achevant par une séparation ou un abandon du domicile conjugal, il lui a fourni un matériau de premier ordre pour une carrière dans la littérature criminelle, qu’elle a entamée en 1865 dans l’AUSTRALIAN JOURNAL. Elle a donc débuté dans le roman policier (en français dans le texte) en même temps que Gaboriau. Comme lui, elle écrivait avec autorité des récits de procédure policière rédigés à la première personne, en majorité dans le cadre de The detective’s album, la plus longue des premières séries de détection qui nous soit connue (1868-1908). En tout, elle a écrit plus de cinq cents récits criminels. Bien qu’elle ait trouvé son public, elle écrivait sous pseudonyme : Waif Wander, un terme qui la décrivait bien (littéralement : « enfant abandonné errant ») , et W.W. (pour les récits policiers).
Elle a également écrit cinq romans, du criminel à l’horreur gothique (Clyzia the dwarf, 1866-67). En dehors de la fiction, elle fut une pionnière du journalisme free-lance féminin, spécialisée dans la flânerie, tout en dirigeant certaines des premières pages féminines de la presse. Bien qu’elle soit prolifique, elle était comme toutes les femmes moins payée qu’un homme et devait compléter ses revenus en prenant des locataires ou en travaillant comme gouvernante. Elle menait une vie de bohème, dans la haute société comme dans les bas-fonds, d’où des liaisons de facto et de brefs séjours en prison pour ivrognerie. Elle a également été recherchée par la police en tant que témoin d’un viol dans lequel elle était impliquée.
Si elle a consacré sa vie aux histoires de crime, son fils survivant, George, était quant à lui le crime personnifié. Il a connu ses premiers ennuis dès l’adolescence, lorsqu’il a volé un chapeau. On l’a envoyé en pension d’apprentissage, puis, après qu’il se fut enfui et eut accompli d’autres délits, en maison de redressement (à l’époque une prison flottante). En 1879, il a reçu sa première condamnation en tant qu’adulte et est retourné en prison. Il a ensuite poursuivi une carrière de voleur, de receleur, et cætera, ne cessant de récidiver.
En 1882-83, Mary Fortune rédige des mémoires intitulés Twenty-six years ago, un compte rendu vivant mais à la fiabilité douteuse. Ses écrits ont commencé à être diffusés dans toutes les colonies australiennes, en même temps que son fils persistait dans la délinquance. En 1885, il a été condamné à dix ans de prison pour attaque à main armée en bande organisée. TABLE TALK, un magazine à sensation, a rapporté que George Fortune était le fils d’une femme qui écrivait des récits criminels, ayant forcément exercé sur lui une mauvaise influence, mais s’est abstenu de mentionner son pseudonyme. Elle a continué d’écrire, créant une des premières femmes détectives dans sa longue nouvelle Bridget’s locket (1886).
Durant les années 1890, Fortune a survécu à une grave crise financière affectant sa ville, sans cesser d’écrire la série consacrée à son détective. Son fils George a de nouveau été incarcéré, cette fois-ci pour avoir percé un coffre-fort. Libéré au tout début du nouveau siècle, il s’est établi en Tasmanie, où il est mort en 1908. Fortune a peu à peu sombré dans l’indigence, dépendant de la charité du fait de sa vision défaillante. Bien qu’elle ait été en droit de percevoir une pension destinée aux personnes âgées, on refusait toujours de la considérer comme « méritante » – et elle demeurait affligée par son alcoolisme. L’AUSTRALIAN JOURNAL lui a accordé des subsides et a financé ses funérailles en 1911 ; elle a été inhumée dans la concession de famille des Massina, fondateurs du journal.
Du fait de son anonymat, Fortune a quasiment été oubliée de l’histoire littéraire. C’est le collectionneur J.K. Moir qui a révélé son identité dans les années 1950, et les détails de son existence ont peu à peu été mis au jour par les recherches de Lucy Sussex. Son œuvre a été rééditée et elle n’a cessé d’éveiller l’intérêt des doctorants et des cinéastes. The White Maniac, a Doctor’s Tale, la plus populaire de ses nouvelles, est traduite en français pour la première fois dans LE NOVELLISTE #04 (Blanche, récit d’un médecin) et sera prochainement présente au sommaire d’une anthologie vampirique publiée par la British Library.
- Blanche
Le Novelliste #04 – pp. 152 à 168